Sortie des plans de sauvetage TOUT EST FINI ET PUIS CELA RECOMMENCE, par François Leclerc

Billet invité.

L’Irlande sort sous les acclamations officielles de son plan de sauvetage, le premier ministre Enda Kenny se prévalant de la souveraineté retrouvée par le pays, mais le ministre des finance Michael Noonan annonce de nouvelles mesures d’austérité, et la Commission va surveiller la situation de près jusqu’à concurrence de 75% du remboursement des 85 milliards d’euros d’aide reçues pour renflouer ses banques.

Le gouvernement espagnol, qui s’était obstinément refusé à demander un tel plan au nom de la sauvegarde de son indépendance, a néanmoins pratiqué sans faillir une même politique de rigueur, et bénéficié de plus de 40 milliards d’euros de crédits afin de recapitaliser son système bancaire, mais la Commission et le FMI l’ont aujourd’hui appelé à maintenir le cap des réformes et de la rigueur budgétaire, une fois sorti de son programme le 23 janvier prochain. Une petite fleur a été faite à Pedro Passos Coelho, le premier ministre portugais, sous forme de déblocage d’une tranche d’aide par la Troïka sans attendre une décision du Conseil constitutionnel à propos de coupes de 10% du montant des retraites des fonctionnaires, qui pourrait remettre en question l’équilibre du budget 2014. Elle avait été auparavant inflexible. Le premier ministre a prudemment évoqué l’hypothèse de disposer d’une ligne de crédit de précaution, lors que le plan de sauvetage du Portugal arrivera à échéance en juin 2014, mais son éventuelle obtention serait accompagnée comme il est d’usage d’un suivi attentif de la politique de rigueur gouvernementale.

La forme change, la Troïka honnie n’effectuera plus ses missions régulières à Dublin, Madrid ou Lisbonne, mais le fond ne varie pas : aucun changement n’intervient dans une politique d’austérité destinée à réduire sans délai les déficits publics. Le pacte fiscal fait loi en attendant de futurs « engagements contractuels » contraignants avec la Commission – aux contreparties très floues – qui pourraient faire l’objet d’un accord global au printemps prochain à l’échelon européen.

Confrontées à l’échec de leur politique, dont ils continuent néanmoins à réclamer la poursuite, les composantes de la Troïka semblent avoir parfois quelques difficultés à maintenir leur cohésion. Si Pedro Passos Coelho dénonce désormais « l’hypocrisie du FMI », pour ne pas traduire dans les actes l’allégement de la rigueur qu’il prône, les contradictions internes de la Troïka sont dévoilées en Grèce par le premier ministre Antonis Samaras, qui déclare dans la presse : « nous sommes en négociation avec trois entités différentes….[elles] ne sont pas parvenues à s’entendre entre elles ». Se refusant par avance à accepter de nouvelles mesures de rigueur – estimant qu’elles ne seraient pas supportables – le gouvernement joue la montre à l’occasion de négociations à rallonges. Sans attendre, il demande l’application au printemps prochain d’une décision datant de novembre 2012 qui prévoyait une nouvelle restructuration de la dette au cas où un excédent primaire serait dégagé (qu’il annonce). Pour mémoire, la dette grecque est désormais détenue pour l’essentiel par l’Eurosystème, dont les composantes nationales devraient enregistrer une perte : la Grèce reste un os difficile à avaler !

Les besoins de financement irlandais et espagnol pour lesquels il a fallu se substituer au marché n’étaient pas le résultat de frasques dispendieuses de leurs États mais de leurs banques; et, dans le cas de la Grèce et du Portugal, de l’incapacité des autorités européennes à gérer leurs entrées respectives dans la zone euro, au prix des gâchis financiers que l’on a constaté. Dans celui de Chypre, d’avoir laissé s’instaurer une situation qui faisait du pays le coffre-fort abritant les capitaux douteux venus de Russie et d’Ukraine.

Prétendre faire régler l’addition comme exigé est une défausse qui ne passe pas, mais – comme souvent épinglé – il n’y a pas de plan B et même pas de plan A’. Advienne que pourra ! Le cas de l’Irlande est aujourd’hui présenté comme exemplaire, depuis que le Portugal ne peut plus y prétendre – il faut toujours un premier de la classe – mais pourra-t-il longtemps conserver ce rang ? 64 milliards d’euros (40% du PIB) ont été nécessaires pour stabiliser le système bancaire irlandais en novembre 2010, mais les banques sont toujours dans le rouge et leur situation reste précaire. Leurs pertes sont contenues au prix d’acrobaties : souvent au chômage, 182.000 Irlandais sont en retard de remboursement de leur prêt, tout en étant incapables de pouvoir vendre leur logement étant donné la chute des prix sur le marché qui ne leur permettrait pas d’en couvrir le montant, ce qui impliquerait des saisies provoquant une grave crise sociale. Nul ne sait par ailleurs ce qu’une opération vérité révélerait dans les bilans des banques. De nouveaux examens européens de celles-ci se préparent; mais les précédents ayant escamoté leur situation réelle, l’exercice pourra-t-il être renouvelé à l’identique ? En Irlande comme en Espagne, les deux pays où des bad banks ont été créées en espérant des jours meilleurs ou dans l’attente de pertes supportées par l’État, Le marchépourra-t-il répondre aux besoins ou faudra-t-il à nouveau intervenir et comment ?

Les sorties des plans de sauvetage ont en commun de ne donner aucun signal d’une quelconque inflexion de la politique d’austérité, et de laisser la BCE seule à la manœuvre pour à la fois contenir la hausse des taux obligataires et assurer le refinancement des banques lorsque nécessaire. Dans l’étroite limite de 8% des pertes, les actionnaires et les créanciers d’une banque devront si nécessaire la recapitaliser avant que le fonds de résolution de l’union bancaire puisse être mis à contribution (mais celui-ci ne sera que progressivement abondé par les banques). Sauf si une opération préventive de précaution de l’État s’avère indispensable, ainsi qu’en ont décidé le Parlement européen et la Commission le 11 décembre dernier, laissant le soin à l’Autorité bancaire européenne le soin d’en préciser les circonstances entre janvier et juin 2016. Les actionnaires et créanciers obligataires ont encore une chance d’être sauvés, eux !